vendredi 27 septembre 2013

Une étrange randonnée.




C'est une bien étrange randonnée que j'entame ce 7 septembre, à l'heure où débute la cérémonie d'adieu à Nils. J'ai voulu faire cette rando en solitaire pour me plonger dans cette solitude qu'il disait avoir tant goûtée durant son périple d'Istanbul à Bordeaux en vélo, et que j'apprécie tellement moi aussi, une façon de lui rendre hommage.


Bizarrement j'ai été profondément bouleversé par cette disparition alors qu'on ne s'est jamais rencontré, je connais son père, Antoine, ainsi que ses grands parents et d'autres membres de sa famille, mais la vie a fait que je n'ai pas vu Antoine pendant plus de 20 ans et ne connait donc pas ses enfants.

Nils aurait eu une tête d'abruti et n'aurait pas réalisé son aventure, j'aurai été attristé pour ses parents et sa famille, sans vraiment pensé à lui. Mais voilà, Nils porte sur son visage la gentillesse, la bonté, on devine en le voyant que c'est la crème des garçons et de plus il a accompli un périple extraordinaire qui ne peut pousser qu'à une profonde admiration.


Moi qui me suis lancé au début de l'année dans une première escapade méritant le qualificatif d'aventure, je me sens petit face à ce qu'a réalisé Nils, mes 12 jours passés dans la neige me semblent ridicules.

Sans doute que tout le monde l'a félicité pour sa réussite, toutefois je ne suis pas sûr que ceux ci ont réalisé l'ampleur de ce qu'il a accompli. Pourtant il s'agit de 4000 km à vélo, soit en moyenne 70 km par jour, avec un vélo ordinaire chargé d'un bon paquetage, des kilomètres parcourus le plus souvent seul sur des routes bien loin d'être faciles, il suffit de regarder une carte des régions traversées et de leur relief pour comprendre, c'est un véritable exploit dont il était certainement fier, même si sa modestie devait le pousser à l'ignorer.

Je sais que Nils aurait vécu d'autres aventures aussi grandioses, comment aurait-il pu en être autrement, le destin est bien cruel de lui avoir volé cet avenir là, même si sa courte existence fut une vie d'exception.

Son aventure à vélo et mon aventure hivernale, me font sentir proche de lui. Je sais ce qu'il a pu ressentir dans ces moments de solitude quand chaque minute de la journée est vécue à temps plein, comme j'ai pu les vivre en traversant des forêts noyées de neige sans croiser quiconque plusieurs jours durant. Ces mêmes émotions partagées qui nous ont envahi, nous ont submergé, voilà ce qui me bouleverse, nous n'avons pas d'aventure ou de souvenir de voyage commun, mais des émotions communes ressenties séparément.

Son aventure lui a permis de connaître la plénitude et le bonheur absolu, il a su trouver à 21 ans ce que peu d'hommes sur terre rencontreront un jour et a, d'une certaine façon, vécu davantage que nombre de personnes ayant une longue existence, mais vide de sens.


Vallée de St Ruph
Je pars donc ce matin là pour une journée et demi de rando et de méditation dans le massif des Bauges près d'Annecy, mes pensées occupées par Nils, la vie, la mort, l'au-delà.
Vallée d'Orgeval
Vallée d'Orgeval

Rando du tour de l'Arcalod, après le village d'Ecole, je me gare sur le dernier parking au fond de la vallée de Bellevaux, 2 ou 3 voitures sont là, un groupe de randonneurs s'apprête à partir, une dizaine de minutes plus tard je m'élance à mon tour avec dans mon sac à dos de quoi manger pour 36h, matelas et duvet pour dormir, j'ai prévu de passer la nuit dans une cabane en altitude.


Montée vers l'Arcalod

J'ai vu sur un guide que le début du parcours est très raide en traversée de la forêt sur un peu plus de 2 km, et c'est le moins qu'on puisse dire, je m'arrête à plusieurs reprises pour reprendre mon souffle, à la sortie de la forêt en débouchant dans la vallée la pente devient très raisonnable, et c'est là que je rattrape et double le groupe parti quelques minutes avant moi et qui n'a rien d'un groupe du troisième âge, de quoi me rassurer, je ne suis pas encore foutu!

La montée se poursuit tranquillement sur 2 km environ à travers les pâturages jusqu'au chalet d'Orgeval, qui marque pour beaucoup la fin de la rando aller. Je poursuis un peu plus haut jusqu'au col d'Orgeval pour le pique-nique, avant de basculer sur le vallon de St Ruph.




Je reste un bon moment au col, contemplant la petite vallée d'Orgeval calme et paisible, il me revient à la mémoire la chanson de Raphaël «Poste restante» et je me dis que ce serait bien si l'au-delà pouvait ressembler à cette vallée, une infinité de petits vallons déserts où on pourrait retrouver un ami et rester là pendant des siècles, apaisés, reprendre son chemin vers un autre endroit et un autre ami, parcourir ainsi l'éternité, j'ai tant de rencontres à faire, de connus ou d'inconnus que je n'ai pas eu la chance de côtoyer.

Je me souviens aussi d'une phrase de Paul Emile Victor, vers la fin de sa vie, disant que ce qui l'emmerdait n'était pas de mourir mais de ne plus vivre, qu'il avait des projets pour 50 ou 100 ans encore, la passion était toujours là, la soif de vivre aussi.
Surtout ne pas franchir cette barrière de la dernière envie, cette frontière au delà de laquelle le destin devient cruel en faisant de nous des "déjà morts" parmi les vivants, faire ce premier pas dans l'au-delà avec la soif de le découvrir.
Pourquoi craindre la mort, il est possible qu'il n'y ait rien au delà, ce qui ne serait pas très grave, mais nos esprits se retrouveront peut être dans un monde plus merveilleux encore et il faut bien avouer que ce serait alors la plus fabuleuse aventure de l'homme.

La descente vers le chalet de Bonverdan est un peu raide avec quelques passages un peu plus délicats, je ne vois plus personne, il faut être vigilant. Je remarque sur ma carte IGN Top25 un encadré plein de «Recommandations», sur les informations de la carte, tracés au sol qui peuvent être modifiés, changements de météo etc, avec la conclusion «Evitez de partir seul».
J'en ai un peu marre de ce genre de conseil, bien sûr je reste prudent mais je veux rester libre de mes actes.
Refuge de Bonverdan
L'hiver dernier quand j'ai parlé de mon projet, certes personne n'a essayé de m'en empêcher mais on m'a sagement conseillé de faire le même périple en raquettes avec un groupe et un accompagnateur, avec arrêt le soir dans un gîte, que ce serait plus sympa et moins risqué.
Oui, sans aucun doute, c'était moins risqué et plus sympa, apéro et bon repas convivial autour d'une cheminée tous les soirs plutôt que de dormir par -10°, je serai passé aux mêmes endroits, vu les mêmes paysages, oui mais je n'aurai pas connu les mêmes sensations, n'aurai pas été envahi par les mêmes émotions, j'aurai eu droit au cours de ces journées de rando à des discussions sur la petite famille et les problèmes au bureau, entrecoupées de temps à autres par des «c'est vraiment magnifique», alors non, merci!
Je ne suis pas sûr d'arriver à faire comprendre cette différence pourtant essentielle, et pourquoi je rejette cette partie de la norme qui ne me convient pas.

Je ne suis pas kamikaze mais je veux pouvoir faire ce que j'ai envie et quand j'en ai envie sans que quiconque vienne y mettre son grain de sel. Personne ne peut dire si demain il sera encore en vie, la preuve malheureusement avec Nils, alors si quelqu'un dans sa famille l'avait poussé à renoncer à son aventure en vélo, lui conseillant d'attendre d'être un peu plus âgé, un peu plus mûr, que de remords aujourd'hui.


Deux médecins m'ont dit il y a quelques temps que j'avais tout pour devenir centenaire, super! Enfin pas tant que çà, je suis content en me disant que j'ai encore de nombreuses années devant moi pour partir dans de petites aventures, mais j'espère bien n'avoir pas le malheur d'y arriver si celà doit signifier 5 ou 10 ans à passer dans un fauteuil à attendre désespérément en entendant les heures s'écouler lentement.
Si cela devait m'arriver, alors le destin aura été cruel aussi avec moi, d'une autre façon.
Alors les conseils de prudence, qui vont certainement devenir plus pressants avec les années, je ne veux plus les entendre, je ne sais pas quand je partirai, mais si la mort survient au cours d'un voyage ou d'une aventure alors le destin aura fait le bon choix, m'aura gâté... et je ne suis pas pressé.

Je parviens au chalet de Bonverdan, une des cabanes repérée comme halte possible pour la nuit mais il est un peu tôt pour m'arrêter là. J'en profite quand même pour une petite pause grignotage et visite les lieux, une table, des bancs, un poêle à bois, casseroles etc, deux matelas superposés et surement plein de petites bébêtes! Dehors un abri avec du bois.






Un couple de randonneurs, dans le trajet inverse, s'arrête quelques instants le temps d'échanger quelques mots sur le parcours, ensuite je reprends le chemin en direction du Pas de l'Ours en longeant au pied de la falaise.





Passé le Pas de l'Ours, descente vers le Plan de France où j'abandonne le circuit «Tour de l'Arcalod»pour me diriger vers les Chalets de l'Eau Froide où je compte passer la nuit.



Deux petits vallons plus loin, on arrive aux chalets, je rencontre le berger-vacher qui réside là de mai à fin septembre, sa famille vient le rejoindre ce soir comme tous les week-ends en montant en 4x4 sur une route empierrée allant de Giez jusqu'aux chalets.



Il y a 2 bâtiments principaux, le chalet d'habitation et une étable, et à proximité une petite cabane aménagée pour les randonneurs, avec une vue sur le lac d'Annecy. La cabane étant plus récente, l'intérieur est plus propre qu'à Bonverdan, je vais être bien même si ici il n'y a pas de matelas, je profite pour faire un brin de toilette avec l'eau de l'abreuvoir, rincer mon tee-shirt trempé de sueur, pas étonnant que j'ai attiré les mouches en passant entre les vaches.
Le gardien s'occupe des vaches, mais aussi de chèvres, de moutons et de cochons, à nourrir, rentrer, traire etc... le travail ne manque pas.






En fin de journée la pluie qui m'a épargné au cours de la rando, arrive pour ne plus cesser de toute la nuit. Malgré çà je reste longtemps assis sur le banc face au lac, en grignotant mon repas du soir, plongé dans mes pensées pleines de tristesse et rentre me coucher bien après la tombée de la nuit.

Je ne goûterai pas un bon sommeil, car le toit de la cabane est fait de tôle et la pluie torrentielle fait un vacarme pas possible en tombant dessus.



Réveil à l'aube, brin de toilette, grignotage et départ vers 8h, en empruntant le trajet de la veille jusqu'au Plan de France avant de redescendre vers le col de Chérel et ensuite la route jusqu'à Jarsy, Ecole et la voiture ensuite 6 km après Ecole.













Retour en grande partie sous la pluie, mais ce n'est pas gênant, 3 à 4 km après le départ on reprend une route empierrée puis goudronnée qu'il suffit de suivre jusqu'en bas.




La route est longue, je vois une borne indiquant 10 km, la descente est tranquille avec un gros torrent qui longe en contrebas, il est midi passé quand j'arrive en bas et aperçoit des panneaux indicateurs de randonnées et là, surprise! Je réalise que je suis descendu à l'opposé de mon itinéraire et arrive au village de Chevaline, célèbre pour sa tuerie! je viens de faire 17 km depuis ce matin (mesurés au retour sur Openrunner) et constate que ma voiture est à 15 bornes à vol d'oiseau, 25 par les chemins!

Ne me demandez pas comment j'ai fait, je n'ai toujours pas compris.

Je serai tout seul dans le coin, j'aurai le choix du stop ou de faire des provisions pour 36 h supplémentaires, remonter vers le col de Chérel pour rentrer le lendemain, mais j'opte pour le coup de téléphone salvateur à la famille, Jean Philippe se dévoue pour venir me chercher aussitôt et retour à Albens, je récupèrerai ma voiture le lendemain.

Cette longue et fatigante descente m'aura apaisé, j'ai déjà en tête une autre randonnée hivernale en solitaire de 2 ou 3 semaines, qui me mènera au Cap Ferret, où repose Nils.









Quelques images supplémentaires sur la magnifique chanson de Raphaël.



POSTE RESTANTE

Raphaël Haroche 26 juillet 2003

Je vous envoie mes compliments, poste restante et puis tout çà
Juré mes bons salauds que je ne reviendrai pas
Je n'ai plus rien à voir, je n'ai plus rien à croire

Là où je suis y'a des montagnes des prairies des vallées
Et je pêche à la ligne avec un ami anglais
Je comprends pas c'qu'y dit, mais on s'entend très bien.

Qu'il est grand ce pays et que la terre est loin

Je n'ai plus de nouvelles de vos journaux à la con
Sorti de vos poubelles, le temps semble moins long
J'ai coupé mes dépenses et cette fois pour de bon

J'ai rencontré une petite soeur qui vaut vraiment le coup
Elle s'est mis une balle en plein coeur,
Sûr qu'elle était à bout
Elle et moi on fait des choses, elle me sourit beaucoup

Qu'il est grand ce pays et que la terre est loin

Ici y'a rien à faire que le vent dans tes cheveux
Et la vie toute entière repasse sous nos yeux
Comme c'était un mystère
Qu'on y a vu qu'du feu

Je n'ai plus de nouvelles de ceux qui sont au pays
Et mes amis me manquent du temps que j'étais en vie
Je les revois encore mais je n'suis plus en vie

Qu'il est grand ce pays et que la terre est loin
S'il y a de l'espérance alors toi seule le sait
Qu'il est grand ce pays tu vois on se rejoint

Ici y'a des montagnes des vallées des prairies
Et je pêche à la ligne avec un très bon ami
Même si on comprend rien à ce qu'on fait ici
...





jeudi 5 septembre 2013

Un garçon rare au paradis.

Dimanche 1er septembre, nous devions décoller en fin de journée pour ce qui devait être un formidable voyage-rando à la découverte de l'Islande.
Le destin cruel en a décidé autrement, 3 heures avant qu'on se retrouve à Roissy, Aurélien a appris le décès de son cousin Nils disparu tragiquement la veille, à 21 ans.
Peu importe le voyage, peu importe l'Islande, ce sera pour une autre fois.

On s'est retrouvé quelques instants plus tard et Aurélien m'a parlé de Nils, que je ne connaissais pas.
De retour, j'ai pensé supprimer le post précédent annonçant notre voyage, continuer le blog sur une prochaine rando, puis j'ai vu un article du mois de juin consacré à Nils et ai compris aussitôt à quel point ce garçon était un être rare, son visage ne trompe pas, ce qu'il a accompli non plus.

Je veux lui rendre hommage en reproduisant ci dessous cet article:


Nils est rentré d’Istanbul à vélo






saint-Pierre De retour de son périple, Nils Géricot, 21 ans, était attendu samedi par un comité d’accueil

Le jeune homme (au centre) a fait sensation samedi, rue du Parlement-Saint-Pierre : il arrivait de Turquie à vélo.

Le jeune homme (au centre) a fait sensation samedi, rue du Parlement-Saint-Pierre : il arrivait de Turquie à vélo. (ph. C. M.)

 
Il a été accueilli comme un héros, par des acclamations et du vin blanc. Samedi après-midi, sa famille et ses amis avaient investi la terrasse du bar Le Petit Commerce et même la rue du Parlement-Saint-Pierre pour lui faire honneur.
Nils Géricot, 21 ans, est arrivé sur le coup de 17 h 30 d’un long périple à bicyclette, qui lui a permis de relier Istanbul à Bordeaux. « Je ne m’attendais pas à une telle surprise », a souri le jeune homme, qui témoigne déjà d’un goût pour le voyage très affirmé.

Sydney-Istanbul en avion
Après des études en viticulture- œnologie, le jeune Bordelais était déjà parti en Asie du Sud-Ouest, l’an dernier. Cette année, il a travaillé deux mois dans un domaine viticole en Australie avant de s’envoler pour la Turquie, depuis Sydney, avec l’idée de rallier ensuite la France à bicyclette.
À sa descente d’avion, à Istanbul, Nils Géricot a acheté un vélo. Puis, il a pris la route le 16 avril pour passer par la Grèce, la Macédoine, l’Albanie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, la Slovénie ou encore l’Italie. Il pense avoir parcouru environ 4 000 kilomètres sur un engin pas vraiment fait pour une si longue distance
« une sorte de vélo de promenade ».
« En fait, je ne sais pas combien de kilomètres j’ai parcouru. Le compteur s’est arrêté de manière soudaine, en Grèce. »

Le goût de la liberté
Alors, pas trop dur ? « Au départ la solitude m’a un peu pesé, mais au fil des kilomètres, je l’ai appréciée. C’était même ce qu’il y avait de meilleur. J’ai refusé de faire la route avec d’autres cyclistes pour garder ma liberté, mon indépendance, affirme-t-il. Je préférais rester seul, pour rencontrer du monde. Les gens venaient vers moi. J’ai parfois été invité à dormir chez l’habitant, notamment en Albanie. Sinon je faisais du camping sauvage ou bien je dormais dans les auberges de jeunesse. »

À peine arrivé, Nils Géricot a déjà une nouvelle destination en tête ; il part bientôt pour le Portugal. Mais pas à vélo. Il travaillera comme ouvrier de chai à Porto.



Aujourd'hui Nils est au paradis, j'espère qu'un jour j'aurai le privilège de le croiser là haut et qu'on pourra randonner ensemble à la découverte de cet eden.